Jean Paul Riopelle avait exprimé l’idée qu’on crée ensemble un coffret qui contiendrait ses dessins et mes gravures. Le modèle du boîtier serait celui d’un coffre de pêche.
L’idée m’enchantait et j’avais ébauché quelques croquis de mouches à pêche. Mais ma confiance en moi était sous zéro et j’attendais son approbation pour avancer dans ce projet.
Quand je lui avais parlé de mes idées, sa réponse avait fusé.
- Tu veux le faire? Fais-le!
Ce jour-là, j’avais reçu sa réponse comme une rebuffade. Déçue par le peu d’encouragement, j’étais remontée dans l’atelier la tête basse et j’avais repris ma plaque et ma pointe sèche sans trop d’enthousiasme.
Tu vois, quand on travaille avec un maître, ce n'est pas seulement la technique qu’il nous enseigne. Ce qui pénètre nos cellules, avec lui ou elle, c'est l'art d'être un artiste. Avec ses exaltations, ses découragements, ses jours maigres comme ses jours fastes.
Je n’ai saisi ce qu’il m’avait appris ce jour-là que quelques années plus tard. Avec sa
sagesse de peintre qui en a vu d’autres, il me faisait comprendre que parler d’une vision ne sert à rien. Une idée n’est qu’une idée, un projet n’est qu’un projet. C’est dans la concrétisation que la vision se manifeste.
La parole n’est rien sans l’action qui va suivre.
Je parle de ce moment et de bien d’autres dans Le Carnet de Riopelle, écrit en 2004 et publié en 2005, soit trois ans après son départ.
Détail intéressant: il y a quelques années, en visitant l’aile consacrée à Riopelle au Musée des Beaux-Arts de Québec, j’ai retrouvé dans un tiroir une des gravures que j’avais laissées derrière moi à Estérel en 1986. Jean Paul avait utilisé ma gravure pour en créer une nouvelle en la rehaussant à l’acrylique et au crayon feutre. Il le faisait souvent à l’époque.
L’œuvre était signée par lui, bien entendu!
Certains m’ont dit que je devais le prendre comme un honneur.
Je suis ambivalente à ce sujet. Toi, qu’en penses-tu?
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